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conventionnelle, celle de Prague le transforme en un élément réellement menaçant. Dans
son délire, la noble Sandrina est humainement et stylistiquement réduite au niveau de
Belfiore, celui de la farce (Gallarati).
N
o
24 – Dans la version initiale, cette deuxième scène de folie clownesque, débouchant
sur un trio avec Nardo, Sandrina et Belfiore, semble superflue à cet endroit. Grâce à la
réorchestration de Prague (qui comprend deux clarinettes et une flûte, ajoutant une touche
plus “humanisante” que les hautbois de la version d’origine), et au retour de la tonalité de
Mi bémol majeur, ce “numéro comique” se lie au registre “tragique” de Sandrina (Gallarati)
de la scène suivante (n
o
27), dans laquelle le couple sera “guéri” de sa folie.
N
o
27 – À l’issue d’un sommeil libérateur, le couple est délivré de sa folie inhumaine et indigne,
grâce à la magie d’une musique “humanisante” (“al suono di dolce sinfonia”), de manière
analogue au Roland furieux, l’Orlando des opéras éponymes de Haendel et Haydn. Dans
l’adaptation pragoise, cette “musique enchantée” produit un effet plus magique encore
que ce n’était le cas dans la version initiale. La première clarinette anticipe le petit motif (
) sur lequel débutent les premiers violons dans la version originale : le premier rayon
de lumière dans le jardin de la raison, et non plus dans celui du Podestat ? C’est avec une
“musique de(s) Lumière(s)” de ce type que s’achevait d’ailleurs aussi le parcours “initiatique”
d’Idoménée (dans le récitatif accompagné qui précède son dernier air).
Se mêlent ainsi dans cet opéra – dont la version d’origine rappelle par moment un jeu de
marionnettes – un théâtre fort ancien, qui “conjugue et fusionne sans scrupules éléments
de farce et grandes passions, ne renonçant pas non plus à l’invraisemblable ou à l’incongru”
(V. Braunbehrens au sujet de Don Giovanni) et des éléments – que la version de Prague fait
nettement ressortir – typiques d’un opéra initiatique “moderne”.
V. La question des coupes
Notre enregistrement n’entend pas proposer une reconstruction rigoureusement exacte de la
version donnée à Prague en 1796. Mise à part l’orchestration, d’autres décisions prises à l’époque
– texte original italien ou adaptation allemande pour un “Singspiel” ? Coupures : lesquelles, et
où ? – étaient étroitement liées aux conditions et aux attentes de l’époque. L’enregistrement
suit néanmoins fidèlement le texte musical et littéraire (dans sa version italienne) de la partition
“Náměšť” – à une exception près : nous avons ignoré la plupart des coupures effectuées dans
les différents numéros de l’opéra. Ni dans l’exemplaire de Brno, ni dans celui de Dresde, elles
ne sont indiquées à la manière habituelle : par des renvois “al Segno” ou par des collages
sur l’ancienne version. Au lieu de cela, tous les numéros ont été réécrits en supprimant les
passages qui ont fait l’objet de coupures, de sorte que seule la comparaison avec la version de
la NMA permet de déterminer précisément ce qui a été supprimé et comment.
Le troisième air du Podestat (n
o
25) a été supprimé dans son intégralité. Les coupures dans
les autres numéros, nombreuses et de plus en plus marquées au fur et à mesure que l’opéra
progresse, peuvent être réparties en trois catégories :
1) Les coupures dans les préludes orchestraux de huit airs. Raccourcir ces préludes orchestraux
parfois interminables dans la version d’origine – la ritournelle initiale par exemple du premier
air du Podestat dans sa version intégrale donne l’impression d’une exposition orchestrale d’un
concerto – va tout à fait dans le sens de ce que pratique le Mozart de la maturité, littéralement
allergique à des ritournelles trop longues. Dans ses derniers opéras, il peut arriver qu’un air
commence sans prélude, avec une seule mesure d’orchestre, entrant ainsi directement dans
le vif du sujet. C’est également le cas dans la version pragoise de La finta giardiniera, par
exemple dans le premier air d’Arminda (n
o
7) – avec un grand effet théâtral – ou dans la “prière”
(preghiera) de Ramiro “Dolce d’amor compagna” (n
o
18)
2) Des coupures parfois radicales dans les reprises – et/ou dans les sections finales de six
numéros aux actes II et III. Elles sont malheureusement très brutales et dénaturent leur
structure formelle.
3) Des coupures très discutables, si brèves – elles ne concernent parfois qu’une ou deux
mesures ! – qu’elles n’ont guère d’influence sur la durée totale de l’opéra, mais qui détruisent
certaines subtilités harmoniques, mélodiques ou rythmiques de la partition. Tous les numéros
à partir du n
o
18 ont été mutilés de cette manière par ce qui s’apparente à des “opérations ratées
de chirurgie esthétique”.
On ne peut s’empêcher de se demander si le brillant musicien qui a réorchestré avec tant
de goût la Giardiniera pragoise peut être aussi à l’origine de ces coupures pour le moins
maladroites. On serait plutôt tenté de penser que la décision en aurait été prise par une position
supérieure, peut-être par un directeur de théâtre musicalement moins compétent. Est-ce qu’il
a éventuellement existé une source intermédiaire avec cette orchestration élargie mais sans
ces coupures, – celles-ci ayant été introduites plus tard, de la manière habituelle – qui aurait pu
servir aux deux exemplaires encore conservés ?
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